L’auteur des Pensées est un génie universel, mathématicien, inventeur, et théologien, suscitant l’admiration de ses contemporains et de la postérité.
On trouve dans cet ouvrage parmi les plus belles pages de la littérature française, dont le célèbre pari de Pascal.
Animé d’une foi ardente, mais souffrant de graves problèmes de santé, la vie de ce grand esprit fut aussi brève qu’intense. 

 

Blaise Pascal naît à Clermont-Ferrand en 1623. Suite au décès rapide de sa mère, alors qu’il n’a que trois ans, il est élevé par son père, conseiller du Roi en Basse-Auvergne, qui détecte très vite les capacités mentales exceptionnelles de son fils. Son apprentissage porte sur les mathématiques, le latin et le grec. Dès l’âge de onze ans, Pascal est capable de démontrer la 32ème proposition des Eléments d’Euclide, et à seize ans, il rédige son premier ouvrage de géométrie, l’Essai sur les coniques.A dix-huit ans, il met au point la première machine à calculer de l’Histoire, la Pascaline. C’est grâce à ses travaux que la presse hydraulique fut également mise au point. Il organise, au sommet du Puy de Dôme, la célèbre expérience des liquides, apportant ainsi la preuve de l’existence de la pression atmosphérique. Son QI a été évalué à 180, un score supérieur à celui de Newton (160), Mozart (150) ou Darwin (140). Pascal vécut successivement à Saint-Etienne, Paris (dès huit ans), Rouen (à seize ans), puis retourne à Paris, où il mène une vie d’homme riche et libre, grâce à l’héritage de son père, ce qui l’amène à être considéré par certains, bien à tort, comme un libertin. 

 

En réalité Pascal, ayant bénéficié d’une solide éducation chrétienne, est animé d’une foi fervente, en particulier après sa lecture d’auteurs jansénistes, en 1646. Il a alors vingt-trois ans, et cette période peut être considérée comme sa première conversion. Suit alors une période « mondaine », pendant laquelle il se consacre aux sciences et mène grand train, jusqu’en 1654 où il frôle la mort suite à un accident de carrosse, sur le pont de Neuilly. Il a alors une vision religieuse, une extase qu’il décrit en ces célèbres mots du Mémorial : Feu. Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, pas des philosophes ni des savants […] Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix.[…] Joie, joie, joie, pleurs de joie. qu’il fait coudre dans son manteau. Il multiplie alors les retraites spirituelles au couvent de Port Royal Dès sa 35ème année, Pascal connaît de sérieux problèmes de santé, en particulier de maux de ventre et de tête, diagnostiqués plus tard comme venant d’une insuffisance rénale chronique et d’une lésion cérébrale, d’origine génétique. En 1662 il a des convulsions et meurt, à Paris. C’est à ce moment-là qu’on trouve dans ses effets personnels des liasses de feuilles sur lesquelles étaient notées des réflexions, classées dans un ordre provisoire. Elles sont éditées, et l’ouvrage ainsi composé, les Pensées de Pascal, devient rapidement un succès de librairie.De la même manière, ce n’est qu’un siècle après sa mort qu’un autre ouvrage fondamental de Pascal est publié : De l’esprit géométrique et de l’art de persuader, devenu un classique de la philosophie mathématique. En fait, d’un point de vue littéraire, les seuls textes parus de son vivant sont les Provinciales, une série de lettres dans lesquelles il défend le jansénisme et critique la casuistique des jésuites. Ces lettres à l’humour subtil et féroce réjouissent le Tout-Paris, et exerceront une profonde influence sur Montesquieu, qui retiendra le procédé pour ses Lettres persanes, ou Rousseau. Mais ce sont les Pensées qui resteront pour la postérité le chef d’œuvre de ce génie polyvalent, qui sut être à la fois théologien, mathématicien, physicien, inventeur et philosophe. Elles constituent un classique de la littérature française, et continuent d’exercer une forte influence aussi bien en philosophie qu’en théologie.


L’ennui vient de ce que l’homme ne supporte pas le repos car il sent alors sa misère :

” Quand je m’y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s’exposent, dans la cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s’il savait demeurer chez soi avec plaisir, n’en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d’une place. On n’achètera une charge à l’armée si cher que parce qu’on trouverait insupportable de ne bouger de la ville ; et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu’on ne peut demeurer chez soi avec plaisir.
Mais quand j’ai pensé de plus près, et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près.
Quelque condition qu’on se figure, si l’on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la royauté est encore le plus beau poste du monde; et cependant, qu’on [s’imagine un roi] accompagné de toutes les satisfactions qui peuvent le toucher, s’il est sans divertissement, et qu’on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu’il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point, il tombera par nécessité dans les vues qui le menacent, des révoltes qui peuvent arriver, et enfin de la mort et des maladies qui sont inévitables ; de sorte que, s’il est sans ce qu’on appelle divertissement, le voilà malheureux, et plus que le moindre de ses sujets qui joue et qui se divertit.
De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. […] De là vient que les hommes aiment tant le bruit et le remuement ; de là vient que la prison est un supplice si horrible ; de là vient que le plaisir de la solitude est une chose incompréhensible. […] 
Le roi est environné de gens qui ne pensent qu’à divertir le roi, et l’empêcher de penser à lui. Car il est malheureux, tout roi qu’il est, s’il y pense.
Voilà tout ce que les hommes ont pu inventer pour se rendre heureux. Et ceux qui font sur cela les philosophes, et qui croient que le monde est bien peu raisonnable de passer tout le jour à courir après un lièvre qu’ils ne voudraient pas avoir acheté, ne connaissent guère notre nature. Ce lièvre ne nous garantirait pas de la vue de la mort et des misères, mais la chasse – qui nous en détourne – nous en garantit.
[…] L’homme, quelque plein de tristesse qu’il soit, si on peut gagner sur lui de le faire entrer en quelque divertissement, le voilà heureux pendant ce temps-là ; et l’homme, quelque heureux qu’il soit, s’il n’est diverti et occupé par quelque passion ou quelque amusement qui empêche l’ennui de se répandre, sera bientôt chagrin et malheureux. Sans divertissement, il n’y a point de joie ; avec le divertissement, il n’y a point de tristesse.”


Nous sommes malheureux car nous ne vivons jamais au présent :

” Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé pour l’arrêter comme trop prompt : si imprudents, que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient ; et si vains, que nous songeons à ceux qui ne sont plus rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C’est que le présent, d’ordinaire, nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parce qu’il nous afflige ; et s’il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n’avons aucune assurance d’arriver. Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent ; et, si nous y pensons, ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.”


L’homme est pris entre deux abîmes, l’infiniment grand et l’infiniment petit: 

Que l’homme, étant revenu à soi, considère ce qu’il est au prix de ce qui est ; qu’il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que, de ce petit cachot où il se trouve logé, j’entends l’univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix. Qu’est-ce qu’un homme dans l’infini ? 
Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu’il recherche dans ce qu’il connaît les choses les plus délicates. Qu’un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang dans ces vaines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours ; il pensera peut-être que c’est là l’extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là-dedans un abîme nouveau. […] 
Car enfin qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principes sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d’où il est tiré, et l’infini où il est englouti. […] 
Notre intelligence tient dans l’ordre des choses intelligibles le même rang que notre corps dans l’étendue de la nature. 
Cela étant bien compris, je crois qu’on se tiendra en repos, chacun dans l’état où la nature l’a placé. Ce milieu qui nous est échu en partage étant toujours distant des extrêmes, qu’importe qu’un homme ait un peu plus d’intelligence des choses ? S’il en a, il les prend un peu de plus haut. N’est-il pas toujours infiniment éloigné du bout, et la durée de notre vie n’est-elle pas également infiniment éloignée de l’éternité, pour durer dix ans davantage ? 
Dans la vue de ces infinis, tous les infinis sont égaux ; et je ne vois pas pourquoi asseoir son imagination plutôt sur un que sur l’autre.

 


L’homme est un roseau, mais un roseau pensant :
L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui ; l’univers n’en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever et non de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale.
Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être : nous voulons vivre dans l’idée des autres d’une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de paraître. Nous travaillons incessamment à embellir et conserver notre être imaginaire et négligeons le véritable. Et si nous avons ou la tranquillité, ou la générosité, ou la fidélité, nous nous empressons de le faire savoir, afin d’attacher ces vertus-là à notre autre être, et les détacherions plutôt de nous pour les joindre à l’autre ; nous serions de bon cœur poltrons pour acquérir la réputation d’être vaillants.